Alors qu’un nouvel acte de décentralisation pourrait bientôt s’ouvrir, Action Publique dresse la fiche de poste du maire des années 2020. Figure principale de la vie politique locale depuis les origines de la République, le maire s’est considérablement modernisé et cumule aujourd’hui les fonctions d’entrepreneur, de financier, de planificateur et même de lobbyiste déterminé à promouvoir sa commune.
Les élections municipales 2020 se sont déroulées dans un contexte inédit. La crise des gilets jaunes puis le Grand Débat national avait déjà permis d’alerter le Gouvernement sur certaines réalités préoccupantes des territoires parfois marqués par un sentiment de décrochage ou de relégation. L’insécurité grandissante vécue par certains édiles assombrissait également le tableau, et nombre d’élus ont souhaité rendre leur écharpe en 2020. La crise sanitaire n’a pas non plus manqué, elle aussi, de perturber les élections, et alors que pour 30 000 communes, les nouveaux conseillers municipaux ont pu être élus dès le 15 mars, le second tour a dû être reporté de trois mois pour les 5 000 autres.
Dans ce contexte, les associations d’élus et les responsables politiques plaident souvent pour de profondes évolutions institutionnelles et constitutionnelles. Le Ministère de la Cohésion des territoires a d’ailleurs invité les régions à organiser des consultations en vue la future loi intitulée « 3D : Décentralisation, Différenciation et Déconcentration », qui devrait faire évoluer les compétences des territoires et assouplir les relations entre l’État et les collectivités.
En première ligne, le maire doit composer avec la succession des réformes territoriales, mais souhaite surtout être pris en considération par les autres collectivités et l’État. Face aux problématiques quotidiennes, à l’enchevêtrement des compétences des territoires, à l’intercommunalité forcée ou au manque de moyens quand les charges augmentent dans le même temps, le maire doit désormais faire preuve d'une polyvalence de plus en plus grande. Entrepreneur, financier, planificateur, lobbyiste, quelle fiche de poste pour les maires en 2020 ?
1. L’entrepreneur
« Aujourd’hui quand on parle d’innovation,
on pense plus à Apple ou à BlaBlaCar
qu’à un établissement public local »
(J. Dumonteil, "La France des possibles", Fayard, 2020)
Les médias ont cessé de voir les maires comme des notables de province. Et pour preuve, depuis plusieurs dizaines d’années, les élus expriment leur volonté de faire valoir leur capacité à réguler leur ville et à porter des dynamiques de changement. Les maires se présentent aujourd’hui volontiers comme des entrepreneurs de politiques publiques, qu’elles soient économiques, sociales, urbaines, métropolitaines ou durables. Les communes bénéficient toujours de la clause générale de compétence à la différence des régions et des départements. Les élus locaux s’attachent donc à répondre aux besoins extrêmement diversifiés des habitants. La tentation est d’ailleurs grande de faire peser sur le maire des préoccupations qui dépassent ses compétences. Mais les communes ont montré désormais leurs priorités : l’innovation et les investissements d’avenir pour satisfaire l’intérêt général.
Pour le tourisme et la promotion du patrimoine, les maires font appel à l’économie numérique, rénovent leurs accueils du tourisme et font même appel à leurs habitants pour guider les visiteurs (Bergerac).
Quand le commerce peine à s’installer, le maire n’hésite pas à se placer en investisseur. Certains ont mis en place un système de boutique à l’essai, pour aider les petits commerces à s’installer et à dynamiser les villes moyennes. Les commerçants bénéficient ainsi d’aides et d’un accompagnement personnalisé. D’autres font le choix de recruter des managers de centre-ville ou de rue, voire de publier des petites annonces sur les réseaux sociaux pour les commerces qui peinent à attirer les repreneurs, et réalisent eux-mêmes les entretiens de motivation.
La désertification médicale constitue également un enjeu sanitaire et social majeur pour nombre d’édiles. Le maire n’a souvent pas d’autre choix que de s'impliquer, en créant par exemple des centres de santé – une politique qui concerne autant la capitale que les communes rurales. 425 centres sont aujourd’hui recensés (10 millions d’euros par an pour aider à leur création investis par les collectivités et 50 millions d'euros par an de la Cnam pour contribuer à leur fonctionnement). D’autres maires choisissent d’investir dans la télémédecine, financée le plus souvent sur plusieurs exercices budgétaires de la commune. Les pharmacies, les maisons de santé, ou encore les Ehpad pourraient bientôt accueillir ce type d’équipement. C'est l'ambition de la mesure 61 de l'Agenda rural, dont les maires ruraux attendent qu'elle soit mise en œuvre dans les fameuses zones « sous-denses ». L’Agenda rural français s’inscrit dans le projet d’un « Agenda rural européen » qui a pour ambition de constituer le pendant de « l’Agenda urbain de l’Union européenne ». Le Gouvernement s’est par ailleurs engagé à soutenir les petites collectivités en maintenant « à haut niveau » les dotations de l’Etat.
Les maires-entrepreneurs s’engagent de plus en plus pour l’environnement et l’économie circulaire : récupération communale de l’eau de pluie, ressourceries et ateliers citoyens pour apprendre à réparer soi-même, bus municipaux électriques, label Territoire bio ... Les maires s’attachent à recenser les initiatives citoyennes qui fleurissent sur le sujet et à les implanter dans leur commune. L’enjeu, plus qu’européen et national, est souvent d’abord local, et les maires l’ont bien compris.
2. Le financier
« Les finances locales, c’est toujours une affaire de spécialistes,
mais à la fin c’est l’argent des contribuables qui doit être redistribué
pour financer les besoins et les droits des gens »
(François Baroin, Congrès des maires 2019)
« Globalement responsables de la gestion de budgets représentant au total plus de 6 % du produit intérieur brut national, les maires ne sont pas des financiers comme les autres » concluait Philippe Valletoux dans la revue Pouvoirs qui consacrait au maire son premier numéro de 2014.
L’auteur relevait l’importante charge financière pesant sur les épaules d’un élu parfois peu spécialiste en la matière. Le maire est en effet responsable du suivi de l’exécution budgétaire et joue d’ailleurs un rôle de premier plan dans le processus d’élaboration du budget, si bien que sa vigilance doit s’exercer en permanence sur les finances locales. Face à des situations financières de plus en plus critiques, et au manque de moyens, de nombreux maires avaient décidé de s’endetter, une situation illustrée par le scandale Dexia sur les emprunts toxiques dans les années 2010. Depuis, l’Etat encadre davantage l’endettement et les maires sont invités à une plus grande prudence.
Encore récemment, les maires ont vu l’Etat tenter de s’immiscer plus directement dans la gestion des finances locales. En avril 2018, le Premier Ministre Edouard Philippe lançait ainsi les « contrats financiers Etat-collectivités », afin de favoriser la « maîtrise de la dépense locale ». Plusieurs communes, comme Bordeaux, Nice, Reims, mais aussi les départements du Tarn-et-Garonne, du Loir-et-Cher et de la Seine-Maritime se sont ainsi engagés à limiter la hausse de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % au maximum par an. L'objectif de l'Etat était ainsi de réaliser 13 milliards d’euros d'économie sur les dépenses des collectivités durant le quinquennat et des pénalités étaient prévues pour celles qui ne respecteraient pas l'objectif fixé. Le taux d'évolution de la dépense peut être modulable car le Gouvernement a voulu créer un instrument qui prenne en compte les spécificités locales. L’ingérence de l’Etat au travers des contrats risque toutefois de faire peser sur les élus locaux une charge supplémentaire, alors qu’ils doivent gérer des besoins et des compétences de plus en plus nombreux.
Au XXIe siècle, le maire financier est aussi attentif aux projets des entreprises. Les aider à s’installer, accompagner leur développement, c’est aussi une histoire de finances locales. Certains maires expliquent avoir décidé de réduire la fiscalité des entreprises à hauteur de 20 % (à Vitré par exemple), ou même de les exonérer de leurs charges le temps de leur installation.
S’agissant des services publics dont il a la charge, le maire doit trouver de nouvelles façons plus efficientes de délivrer un service de qualité, surtout en période de crise budgétaire. Bien souvent, le recours à la gestion déléguée, de plus en plus fréquent, permet de maîtriser la dépense publique et d’assurer un service de bonne qualité. Innovation bienvenue, surtout en zone rurale, les Maisons de services au public ont été créées en 2013. Elles rassemblent guichets Pôle emploi, CAF, postes informatiques ou encore les services de proximité du réseau ERDF. Si le rapport de la Cour des comptes paru en mars 2019 déplorait que l’offre des services y était encore « mal connue », de plus en plus de maires se sont dotés de ce dispositif pour en faire un outil d’animation et de développement de leur territoire.
A l’occasion du Congrès des maires de 2019, François Baroin, Président de l’AMF, rappelait que « les finances locales, c’est toujours une affaire de spécialistes, mais à la fin c’est l’argent des contribuables qui doit être redistribué pour financer les besoins et les droits des gens ». Depuis quelques années, les maires ont décidé d’associer leurs administrés à certaines de leurs décisions en matière budgétaire. Pour ce faire, les budgets participatifs permettent de faire choisir aux citoyens les projets auxquels ils souhaitent qu’une partie du budget local soit consacrée. La Ville de Paris avait ainsi décidé de dépenser 5% de son budget d’investissement dans le cadre du budget participatif de 2014 à 2020, soit un total d’un demi-milliard d’euros. La capitale française a déployé ce budget participatif à différents niveaux : un projet pour l’ensemble de Paris, un pour chaque arrondissement, ainsi que des projets spécifiques de budgets participatifs pour les quartiers démunis. Les écoles et les associations de jeunesse ont également leurs propres projets de budget participatif.
3. Le planificateur
Face à l’avalanche de réformes en matière d’urbanisme et d’aménagement, le maire est celui qui oriente la politique de planification urbaine, en freinant la densification urbaine ou au contraire en permettant aux zones rurales d’accueillir davantage d’entreprises et de zones d’activités. Le maire doit à la fois respecter l’histoire et l’identité de sa commune tout en sachant être visionnaire. Les Plans Locaux d’Urbanisme, communaux ou intercommunaux, sont devenus aujourd’hui des outils indispensables, à leur échelle, à la définition de ces stratégies. Avec la loi ELAN, votée en 2018, le maire dispose également d’un nouvel outil, l’Opération de Revitalisation des Territoires (ORT), pour déterminer les urgences et y faire face.
Redynamiser les territoires, lutter contre les centres-villes déserts, c’est d’ailleurs l’objectif de nombreux maires, auxquels le Gouvernement s’efforce d’apporter un soutien par des outils spécifiques. Un certain nombre de communes se lance d’ailleurs dans la course à la Smart City, souhaitant intégrer l’économie numérique au bénéfice de toutes les générations. Dans les secteurs isolés, inventer la ville de demain est devenu un levier d’attractivité pour de nouvelles populations.
4. Le lobbyiste
La décentralisation a laissé libre cours à des débats non seulement constitutionnels et politiques, mais aussi économiques et sociétaux. Si certains affirment que les réformes successives étaient dans l’intérêt même des communes, d’autres montrent comment les actes de décentralisation ont aggravé les inégalités en opposant le rural et l’urbain, en généralisant depuis 2010 l’intercommunalité qui résulte en fait plus souvent d’un « mariage forcé » que d’une réelle adhésion. D’une façon plus contenue mais néanmoins remarquable, la limitation du cumul des mandats a quant à elle repoussé les problématiques locales loin des sphères parlementaires et, donc, médiatiques.
Dans ces circonstances et à l’aube des municipales de 2020, le maire affirme toujours davantage sa fonction de représentants d’intérêts locaux, de lobbyiste de son propre territoire. Il représente les enjeux et les défis de sa commune devant les responsables des différentes échelles, notamment régionale et nationale, mais aussi, le plus souvent, au sein du conseil communautaire dans le cadre de l’intercommunalité. Certains agissent même à l’échelle transnationale dans le cas des clubs de collectivités européens ou internationaux.
Toutefois le maire est d’abord en France une autorité administrative dont les prérogatives sont celles d’un agent de l’État avant d’être celles de l’exécutif d’une collectivité territoriale. Le temps d’un conseil communal, ou d’une réunion de quartier, il devient donc le garant de la démocratie locale et de la cohésion d’un territoire.
L’enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité parue en novembre 2019 a révélé que le clivage vécu par nombre de maires ne s’était pas refermé. Promesse du Grand Débat national, la loi Engagement et proximité votée en décembre 2019, avait proposé une réponse à l’insatisfaction des maires. Malgré les mesures mises en œuvre pour améliorer les conditions d’exercice du mandat local (pouvoir de police renforcé du maire, formations adaptées obligatoires, protection juridique), nombre d’acteurs locaux souhaitent faire encore évoluer le Gouvernement notamment sur les questions d’expérimentation locale, dont les règles de mise en place devraient être assouplies par le futur projet de loi 3D.
Le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique déposé en 2019 évoque même « un droit à la différenciation » entre collectivités locales. Ainsi la décentralisation permettrait à certaines collectivités d’exercer des compétences – en nombre limité —, dont ne disposent pas les autres collectivités de la même catégorie. Un maire pourrait donc envisager d’adapter les règles pour sa commune au regard de problématiques différentes des autres territoires.
Clotilde Capelle (Action Publique)
Crédit photo: sylv1rob1
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