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L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES DE LA REPRÉSENTATION D’INTÉRÊTS SOUS L’ÈRE MACRON


Un an après le début du mandat d’Emmanuel Macron, quel est l’impact du large renouvellement du personnel politique et des décisions prises par l’exécutif sur la pratique du lobbying en France ? Premiers constats. Pour les représentants d’intérêts, le début de l’ère Macron se caractérise à l’évidence par un déplacement au moins temporaire du centre de gravité du Parlement vers le Gouvernement et les administrations centrales. L’arrivée massive de primo-députés sur les bancs du Palais-Bourbon il y a un an, conjuguée à un agenda surchargé – 129 textes de loi adoptés depuis le début du quinquennat, dont 29 ont été examinés en procédure accélérée – explique que les ministères soient devenus rapidement des interlocuteurs de plus en plus réguliers des entreprises, associations, fondations et autres organisations professionnelles.


L’influence, du Parlement vers les Ministères ?


Le profond renouvellement de l’Assemblée nationale en juin 2017 s’est traduit par l’arrivée de très nombreux néophytes de la vie parlementaire. Les trois quarts des sièges sont désormais occupés par des primo-élus, dont de nombreux cadres issus du privé et des chefs d’entreprise sans expérience antérieure des affaires publiques. Leur connaissance du monde économique et de la société civile est sans doute de nature, à l’échelle de la législature, à enrichir le travail parlementaire. Il n’en reste pas moins qu’en début de mandat, l’absence d’experts thématiques sur des pans entiers des politiques publiques a conduit de nombreuses organisations à déplacer de l’Assemblée vers les Ministères une partie de leurs actions de plaidoyer et d’influence, pour intervenir dès l’avant-projet de loi sans attendre le travail en commission ou la discussion en séance.


Un second constat doit cependant compléter le premier : les cabinets ministériels, sous l’effet d’une contraction de leurs effectifs, réorientent plus souvent que leurs prédécesseurs les dossiers qui leur sont soumis vers les services. L’Elysée assume en effet une volonté claire de redonner de l’importance aux directeurs d’administrations centrales au détriment des cabinets ministériels. Dès le 18 mai 2017, le Président a ainsi strictement limité par décret les équipes entourant les membres du Gouvernement - 10 collaborateurs pour les ministres, 8 pour les ministres délégués et seulement 5 pour les secrétaires d'État. Le nombre de collaborateurs ministériels a ainsi été réduit de moitié pour atteindre près de 300 collaborateurs officiels, dont une majorité de primo-entrants.


Vers une nouvelle forme de gouvernance


Cette réduction des effectifs des cabinets ministériels va bien au-delà d’un acte de communication politique. Il s’agit d’un réel changement de paradigme : les administrations centrales, auparavant orientées dans leur action par les ministres, voient leur rôle renforcé dans la conception et la mise en œuvre de la feuille de route gouvernementale. Le ministre, ne pouvant plus disposer à ses côtés des mêmes ressources qu’auparavant pour couvrir chaque spécialité de son ministère, doit pouvoir s’appuyer sur les compétences des administrations centrales qui renforcent quotidiennement l’action de son cabinet. Ainsi, les cabinets ministériels, traitant prioritairement les sujets présentant une importance politique majeure, délèguent plus régulièrement des tâches qui leur étaient auparavant dévolues, comme la production de notes et d’éléments de langage pour l’autorité politique, pour laquelle les directions et sous-directions des administrations centrales apportent un appui précieux.


L’influence accrue de l’administration se manifeste jusque dans la constitution du premier gouvernement d’Edouard Philippe. Nombre de ministres ou secrétaires d’Etat ont auparavant exercé de très hautes responsabilités administratives, le plus souvent dans les directions des administrations centrales ou de grandes entreprises publiques.

Une autre nouveauté instaurée par le Président de la République est le partage d’une partie de son cabinet avec celui du Premier ministre. Sont ainsi mutualisés une douzaine de conseillers, notamment dans le domaine de l’énergie, du logement, de la protection sociale, des transports ou encore de la fiscalité. Ce choix inédit permet à l'Élysée d’assurer la cohérence de l’action gouvernementale avec les orientations présidentielles.


Quels changements pour les représentants d’intérêts ?


Ainsi, tant les décisions de l’exécutif sur la composition du Gouvernement et des cabinets que le profond renouvellement au Parlement ont conduit les praticiens des affaires publiques à réinventer l’exercice de leur métier et à établir rapidement de nouveaux contacts.


Un an seulement après les élections, le constat de ces changements est naturellement provisoire. La place des représentants d’intérêts et l’importance relative du Parlement, des cabinets ministériels et des administrations dans leurs contacts quotidiens évolueront sans aucun doute au cours de la législature, sans attendre les effets de la prochaine réforme constitutionnelle, dès lors que les représentants d’intérêts noueront des contacts durables et que les nouveaux élus s’approprieront pleinement leur fonction de parlementaire.


Simultanément – et cela constitue un changement majeur pour les représentants d’intérêts sous l’ère Macron, le dispositif de la loi Sapin 2 sur la transparence de la vie publique et le registre des représentants d’intérêts est entré en vigueur. Les responsables d’affaires publiques doivent désormais rendre compte de leurs actions en indiquant notamment quelles catégories de responsables politiques ils ont approchées et pour quels motifs. Bien que contraignantes, ces dispositions ne couvrent naturellement qu’une fraction des activités des professionnels concernés, qui consacrent souvent une grande partie de leur temps à des missions de veille politique ou réglementaire, à la construction de mappings décisionnels, à des actions de communication ou encore de formation. Quoi qu’il en soit, ces nouvelles dispositions reconnaissent, en droit et dans les faits, le rôle de la société civile et des intérêts privés dans l’élaboration de la décision publique.


Ainsi, l’an I de l’ère Macron a, sans aucun doute, marqué le début d’une évolution significative pour la représentation d’intérêts. La route est cependant encore longue pour une véritable normalisation des relations entre pouvoirs publics et parties prenantes, si différente en 2018 de la situation des « stakeholders » à Bruxelles et de leur place dans la prise de décisions.

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